Le 12 Octobre 2017 : Entretien avec Jean Martin COHEN SOLAL – « Les mutuelles doivent intégrer les notions d’accompagnement et de conseil »

12 octobre 2017

Quel regard portez-vous sur l’augmentation des dépenses de santé ?

Le ressenti des Français sur leur système de santé est paradoxal. D’un côté, ils se considèrent de mieux en mieux soignés mais de l’autre ils ressentent que les soins sont de moins en moins bien pris en charge par la collectivité.

Dans les faits, la demande de santé n’a jamais été aussi forte : les progrès technologiques, la révolution numérique, les médicaments innovants, le vieillissement de la population et le poids important des maladies chroniques engendrent des nouveaux défis et de nouvelles dépenses. Preuve en est l’augmentation naturelle des dépenses de santé, dont la tendance se situe aujourd’hui entre 4 et 4,5 % par an.

Le ressenti des Français fait écho à la réalité. Depuis quelques années, certains ont pris l’habitude de dire que les complémentaires santé occupent de moins en moins de place dans le système de santé. Idem, on voit souvent relayé que le reste à charge diminue. C’est uniquement si l’on se fie à la répartition des dépenses en volume : CSBM financée à 77 % par la sécurité sociale (+1,2 point depuis 2011), à 13,3 % par les Ocam (-0,1 point par rapport à 2015) et 8,3 % pour les ménages (-0,9 point depuis 2011). En valeur, les choses sont toutes différentes : depuis 2001, les dépenses prises en charge par les Ocam ont augmenté de 80 %, 4 fois l’inflation (15>27 Md€), et les restes à charge de 40 % (12>17 Md€). Pas étonnant dans ces conditions que les Français s’inquiètent de leur niveau de prise en charge et du coût supporté pour leur santé.

On dresse trop souvent le parallèle avec l’Allemagne qui jouit d’une Assurance Maladie excédentaire avec des restes à charge pour les patients à des niveaux très bas. Il ne faut toutefois pas oublier qu’outre-Rhin, le panier de soins remboursable est sensiblement plus réduit qu’en France. Dans notre pays, la nouvelle majorité a affiché sa volonté de réduire les niveaux de reste à charge tout en maîtrisant l’équilibre budgétaire des dépenses de santé. Pour faire face à ces nouveaux défis, il convient de faire évoluer notre système de santé et le moderniser : mieux rémunérer la prévention, le suivi du patient tout au long de son parcours de soins, ou encore renforcer le financement des soins de suite.

Si notre système de santé est devenu plus performant, il est également plus complexe. Il faut aider les patients à s’y retrouver, et les accompagner vers l’accès à une bonne qualité de soins, à l’heure où les inégalités d’accès se creusent, entre les catégories sociales ou les territoires.

Les pouvoirs publics doivent-ils ouvrir la réflexion d’une redéfinition des rôles entre Assurance Maladie Obligatoire et Assurance complémentaires ?

Notre système de prise en charge repose sur deux piliers fondamentaux : la prise en charge par l’Assurance maladie, et la prise en charge par une complémentaire santé. Je considère que cette formule fonctionne correctement. A l’échelle de l’OCDE, nous sommes par exemple le pays avec les plus faibles restes à charge. Toutefois, ces deux piliers gagneraient à travailler davantage ensemble et à intensifier leurs synergies. En particulier, les mutuelles doivent intégrer les notions d’accompagnement et de conseil.

En revanche, je ne suis pas favorable au financement au premier euro par les complémentaires ou au moindre remboursement des médicaments. A la Mutualité Française, nous sommes particulièrement attachés à la solidarité et à l’universalité de la prise en charge médicale, qui forment la pierre angulaire de notre système de santé.

Au cours de sa campagne, Emmanuel Macron a bien annoncé qu’il n’y aurait pas de déremboursements. Le Président de la République entend également baisser le reste à charge, notamment sur l’optique, les audioprothèses et le dentaire. Des travaux sont en cours sur le sujet. Il a également annoncé la mise en place d’une réflexion sur une meilleure lisibilité des contrats des complémentaires. Ce sujet nous anime depuis plusieurs années et nous nous réjouissons de le voir porté à l’agenda politique. Nous comptons être force de propositions sur ce point dans les prochaines semaines.

Les complémentaires reposent sur un équilibre fragile. Il serait regrettable d’assister à un transfert de charges depuis l’Assurance Maladie sur les complémentaires : ces transferts engendreraient nécessairement une augmentation des cotisations et donc de nouvelles charges sur les assurés, augmentant par voie de conséquence le taux d’effort. C’est pourquoi il est faux de laisser penser que l’augmentation des dépenses prises en charge par les mutuelles n’aura aucun impact sur les cotisations des Français. Les mutuelles, ce sont les Français qui les paient.

Pour un Ondam en progression de 2,3 % pour l’an prochain, il y aura 4,2 milliards d’économies à trouver. Je suis persuadé que nous pouvons les capter à travers une meilleure organisation des soins, en faisant évoluer le rôle des professionnels, notamment grâce à des transferts de tâches et des délégations de compétences plus efficients. Au-delà, rappelons le rôle crucial d’un outil de base pour moderniser notre système de santé : le dossier médical personnalisé. Nous ne sommes pas allés au bout du sujet, or il s’agit là d’un dispositif majeur au service de la qualité des soins.

La ministre de la Santé Agnès Buzyn a récemment évoqué le renforcement de la prise en charge de la télémédecine. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?

J’accueille favorablement la volonté de franchir ce nouveau cap. La téléconsultation est grevée par des problèmes de deux ordres : sa rémunération et son cadre juridique. Je vois dans la montée en puissance de la télémédecine une certaine cohérence, en lien avec l’accroissement de l’expertise médicale. L’hyperspécialisation n’est pas un recul mais un véritable progrès. La télémédecine permet de gérer cette expertise de haut niveau. En termes de financement, on pourrait effectivement envisager un système de forfait de suivi de telle ou telle pathologie. Je pense que le PLFSS va dans le bon sens sur ce point.

La raréfaction du temps médical est un fait auquel il faut répondre via des politiques ambitieuses.

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La Rédaction

Guillaume Sublet

Guillaume Sublet

Senior Expert et rédacteur en chef des lettres d’analyse du cabinet

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